Croisement du Tige de Strée
Luc Toussaint, Carnet de voyage, suite 5
CARNET DE VOYAGE AU PAYS DES GRANDS LACS 2009
A la rencontre des gorilles :
Dans le monde aujourd’hui, 600 gorilles vivent en
totale liberté dans leur milieu naturel, la moitié d’
entre eux sont en Afrique centrale et particulièrement
en RDC et au Rwanda.
Ce dimanche matin 29 mars, j’en ai rencontré au
Parc National de Kahuzi-Biega à 30 km de Bukavu,
càd à une heure en 4x4.
Ce parc national est grand de 6 000 km2 et situé
dans un massif montagneux qui surplombe le lac
Kivu, son altitude varie de 1 800 à 3 300 m. Il
abrite de nombreux singes et parmi eux les gorilles
des plaines orientales, des chimpanzés, des colobes
(ou magistrats), mais aussi des antilopes, des buffles
et des éléphants.
Mon but de rencontre ce matin concernait les gorilles
et seulement les gorilles qui depuis des années me
fascinent. Le Kenya mais surtout l’Okavango au
Botswana visité dans les années 90 m’avaient déjà
enthousiasmé avec les très nombreux parcs abritant
tous les animaux africains à l’exception des gorilles.
En arrivant par une route humide et boueuse (orage
toute la nuit et brouillard ce matin) à l’entrée du Parc
national, ce sont d’abord les militaires très nombreux
qui impressionnent !
Des militaires des FARDC (Forces Armées de RDC)
avec parmi eux probablement de nombreux CNDP
(Congrès National Du Peuple) de Laurent Nkunda
– actuellement en résidence surveillée au Rwanda.
Ces ex CNDP sont intégrés dans les FARDC dans le
cadre d’une opération vers le sud Kivu à la recherche
et la poursuite des FDLR (Front Démocratique de
Libération du Rwanda càd les Rwandais – militaires
et interahamwe qui se sont réfugiés en RDC, protégés
par les Français de l’Opération Turquoise de fin juillet
1994, il s’agit donc pour la plupart des auteurs du génocide
des Tutsis d’avril à juin 94 : 600 000 à un million de morts).
J’en suis conscient, ce n’est pas simple à suivre et encore
moins à comprendre, mais c’est la réalité, celle qui rappelle
les longues années de guerre qu’a subit le Congo et lui a
coûté de 3 à 4 millions de morts par balles, épidémies, mal
-nutrition.
Aujourd’hui encore, l’Est de la RDC n’est pas totalement
pacifiée, des troupes étrangères, des rebelles, des milices
diverses sèment la terreur (viols, exactions, pillages, meurtres,
tortures) et génèrent des dizaines de milliers de déplacés
qui doivent se réfugier autour de Goma (150 000 déplacés
actuellement). J’ai visité un hôpital soignant des civils
blessés par balles et le plus grand camp de déplacés de
Goma durant ces deux derniers jours, j’y reviendrai dans
les prochains Carnets.
Mais ce matin, j’étais à la fête, excité et en même temps
un peu tendu ! Allais-je voir les gorilles ? Ceux que j’ai
vu au cinéma aux côtés de Sigourney Weaver interprétant
le rôle de Dian Fossey. Ceux dont m’a parlé Pierre avec
enthousiasme et un peu de mystère !
J’étais surtout inquiet de rater la rencontre tant attendue
et non de la présence de ces dizaines de militaires
lourdement armés !
C’est Lambert, le chef des guides qui va me conduire au
« rendez-vous ». Il est en communication radio avec des
pisteurs qui ont localisé un groupe. La rencontre est donc
au programme, me voilà encore plus fébrile, plus curieux.
Après un parcours de 15 minutes en 4X4 sur des pistes
qui présentent des pièges et ornières boueuses et remplies
d’eau de 40 cm, on entre à pied dans un sentier étroit,
touffu, humide.
Nous sommes à 2200 m d’altitude et mon équipement de
marche n’est pas au top ! Les bottines des marches Adeps
sont restées à Liège faute de place, le pantalon « Nature
et Découverte » est trop léger mais l’excitation m’anime
et, un peu naïf, je tente de rattraper le guide qui a déjà
pris 50 m d’avance.
Rapidement, les données sont claires, le terrain est humide,
la végétation est tropicale, à certains moments, il faut se
courber en deux pour avancer dans un espèce de tunnel
de végétaux.
Des branches griffent et giflent visage et chemise, des
racines et troncs d’arbres ralentissent la marche, puis
des piqûres aux mains me rappellent que la nature n’est
pas toujours hospitalière. C’est à ce moment que le
guide qui m’a attendu me conseille de rentrer les bas de
pantalons dans les chaussettes car des fourmis
agressives peuvent remonter sur les jambes !
Et c’est là que je ressens une piqûre sur le ventre ! Et
bien oui, des fourmis se promènent sur mon ventre
et le torse, je n’ai pas rentré mes panneaux de chemises !
Vite, éliminer ces intruses et reprendre la progression
par ce sentier qui monte et me fait transpirer. Après 20
minutes de marche, un deuxième guide - armé d’une
machette - nous a rejoint et prend la tête. Encore 10
minutes de marche puis j’aperçois 2 guides de plus, il
s’agit des pisteurs, eux aussi armés de machettes et
l’un d’eux porte fusil mitrailleur. Ce sont des pygmées,
les meilleurs pisteurs de la forêt.
Et 3 minutes plus tard, à environ 2 400 m d’altitude, dans
une végétation abondante et haute, parmi des arbres
immenses, sur une pente glissante, ils sont là !
Je vois d’abord une femelle couchée sur le dos entourée
de 3 jeunes bébés qui jouent et se battent. Incroyable !
Ils sont là, je suis là, à 5 mètres et ils ne portent aucune
attention à ces 5 intrus qui débarquent devant eux. Je me
fige et sors l’appareil photo sans attendre, de peur qu’ils
ne disparaissent. Pas du tout, la mère fait la sieste, les
bébés s’amusent comme si de rien n’était. Lambert
m’invite à m’avancer pour mieux voir. Je suis à 4 mètres,
mon cœur bat, mes yeux s’écarquillent et mon index
actionne l’obturateur. Incroyable ! Je retrouve rapidement
calme et sérénité et change d’optique pour placer le
téléobjectif. Et voilà le « Canon » numérique et réflexe
qui mitraille en gros plans. Quelques 20 clichés plus loin,
le guide m’invite à faire deux pas à gauche et là, je
découvre un amas de corps poilus, de pieds, de mains et
des paires d’yeux de toutes tailles ! Mais de quoi s’agit-il ?
Combien sont-ils et dans quelle position ? Il me faudra un
long moment pour comprendre : le mâle est couché sur le
dos les bras dissimulant son visage, trois bébés, peut-être
quatre sont couchés dans toutes les positions dessus et aux
côtés ! Cet amas de corps est à 3 mètres de la femelle qui
sommeille toujours, les premiers jeunes gorilles aperçus
se sont éloignés et grimpent dans des arbres en prenant
des postures de show……
Dans le Parc National de Kahuzi-Biega, 10 groupes ou
familles de gorilles sont recensées, celle qui est à « mon »
rendez-vous est composée de Chimanouka, mâle de 24
ans mesurant 1 m 80, de 17 femelles et des 13 bébés et
enfants de 2 à 6 mois et de un à 5 ans. Trente et un individus
composent cette famille qui se déplace en groupe, sans
s’éloigner les uns des autres de plus de 50 mètres. Le soir,
les femelles font chacune un nid, leur progéniture respective
à leurs côtés, Chimanouka s’installe ensuite à son tour
généralement, au centre ou en position stratégique de
protecteur.
Les gorilles ont une alimentation saisonnière, de janvier à
mi-juin, les jeunes feuillages ont leur préférence, de mi-juin
à fin août, ils montent dans des arbres bien précis pour y
déguster les fruits et de septembre à décembre, ce sont les
jeunes pousses de bambous dont ils raffolent. Mais attention,
cette dernière nourriture provoque la diarrhée, ils doivent
alors se nourrir d’un feuillage particulier pour interrompre
la « va-vite ».
Depuis 10 minutes, je suis donc appareil photo à la main
posté devant l’amas de poils, c’est alors que la femelle
proche se décide à bouger, elle se lève, enjambe les paresseux
et s’éloigne : encore 5 clichés puis l’attente reprend.
Chimanouka daignera interrompre sa sieste enfin et prendra
le chemin de la femelle et de plusieurs jeunes. Il nous montre
son dos argenté dominant « Silber back » et disparaît dans la
végétation abondante. Les pisteurs le suivent et je fais de
même. Cinquante mètres plus loin, il s’est installé sur son
postérieur et déguste des feuillages. Encore 15 clichés, le
ciel s’est assombri et la pluie fait son apparition. Pas de
problème, c’est le cœur léger et en joie, chargé de 80
photos de plus que je prends le chemin du retour.
La suite des Carnets relatera le déplacement éclair à Goma :
aller en hélicoptère, retour en bateau, avec visite sur place
d’un hôpital et d’un camp de réfugiés (déplacés).
Demain lundi 30 mars, départ pour un périple de 5 jours
au Rwanda…….
A suivre ....
Bonne journée et bonne lecture !